Hors Gel

Hors gel, Emmanuelle Salasc, 409 p. © Maison d'édition P.O.L
Présentation

Hors gel est un roman dont l'objet principal ne porte pas sur la nature : il s'agit tout d'abord d'une inquiétante relation entre soeurs jumelles. L'histoire s'ouvre en 2056, par le retentissement d'une sirène alertant sur le risque de débordement d'un glacier. Les deux soeurs, Lucie et Clémence, vivent dans la vallée, entre ce glacier et les termes.

Plusieurs menaces s'entrelacent dans cette oeuvre très singulière : la menace de la folie d'une des soeurs, la menace de l'eau contenue dans le ventre du glacier et la menace d'un gouvernement écologiste autoritaire.

Tout au long du récit, le lecteur, comme la narratrice Lucie, se sent opprimé par ces peurs quotidiennes. Comme elle nous voilà empêchés : de construire notre vie, de se balader en forêt, de partir...

L'auteur

Emmanuelle Salasc (autrefois Pagano) est française et autrice de plusieurs romans. Elle "vit et écrit à plus de mille mètres d'altitude".

Au delà du récit, je recommanderai vivement cette autrice pour son style, notamment son approche particulier des discours.

Les dialogues sont fondus dans la narration : "Le soleil est maintenant à hauteur de la grange. Ses rayons encore bas se glissent jusqu'à nous. Clémence referme les volets, mais t'es folle, avant de changer d'avis (...)" (p.382). Ce procédé fluidifie les phrases qui semblent s'écouler comme un torrent.

L'autrice met également en exergue les éléments de langages utilisés par la société, les voisins, les parents, les soeurs...et insiste par ce moyen sur le temps qui passe : "On ne disait pas série, alors, on disait feuilleton (...) Maman pleurait en me disant, tu vois, ça aussi ce pourrait être une idée de feuilleton : on regarde une connerie à la télé, on s'y laisse prendre, et ça devient notre histoire, en pire, des années plus tard. Ça devient notre vie." (p.92 et 93).

Ce que ce roman a changé pour moi

La dystopie proposée m'a permis d'envisager un gouvernement aux mains d'écologistes autoritaires. Un libéralisme déguisé dont l'objectif superficiel de protection de la nature n'est en réalité qu'un nouveau moyen de contrôler la population. L'avortement est interdit par respect pour la vie ; l'accès à la nature est conditionné, il est interdit d'entrer dans les forêts millénaires, la montagne est réservée à une élite ; les méthodes d'élevage sont rigoureusement encadrées, notamment par l'utilisation de multiples capteurs.

Ainsi, en 2056, population et nature sont sous surveillance. Pourtant quelque chose résiste : le glacier. "Pourtant la montagne est plus imprévisible que jamais, quelque chose reste, de sa brutalité. Quelque chose n'est pas contrôlé. Mais quoi ? Je me demande ce qui échappe à l'application des marcheurs, aux jumelles des gardes, aux drones de la sécurité civile, aux sondes des glaciologues, aux comptages des zoologistes et des herboristes." (p.69).

Le roman d'anticipation permet à la fois de proposer une réflexion sur l'écologie politique et sur les nouveaux récits. Des récits qui intégreraient dans la narration un décor renouvelé, invitant le lecteur à se projeter dans un monde qui ne peut faire fie de la question écologique.  

À retenir

Le vocabulaire

  • Estives (métonymie) : Pâturage d'été en montagne.
  • Névés : Plaque isolée, mais relativement importante, de neige persistant en été.
  • Mauvaises Heures : Dans le val d'Azun, en haute Pyrénées, estives appelées "les mauvaises heures" qui correspond à des zones d'altitude où la descente est complexe. les PGHM (Pelotons de Gendarmerie de Haute Montagne montent sur les estives quand les bergers en ont besoin.
  • Hors Gel : le titre fait notamment référence au fait qu'avec le dérèglement climatique la neige ne gèle plus et les glaciers disparaissent.

Le phénomène de l'eau sous glaciaire

  • L'autrice s'est inspirée de la catastrophe de Saint-Gervais-les-Bains (Haute Savoie) survenue en 1892, au cours de laquelle une lave torrentielle emporte la vie de 175 personnes.
  • De nouvelles inquiétudes relatives au glacier de Tête Rousse (sous lequel une poche d'eau de 65 000 tonnes s'est accumulée) ont engendré en 2010 d'immenses travaux de purge.
Le chiffre

Les glaciers ont perdu plus de la moitié de leur superficie depuis 1850, dont l’essentiel dans les trois dernières décennies.

Pour en savoir plus 

Interview de Emmanuelle Salasc.

La transfiguration des Alpes, une "vision apocalyptique" du changement climatique (Le Monde, 02/2021).